Ce n’est pas la première fois : je rencontre hier un astrologue, un homme de trente ans, indien, qui a étudié l’astrologie à l’université d’Ujjain (une belle cité dans le centre de l’Inde) pendant deux ans. Il a obtenu un degré, une sorte de maîtrise, se débrouille bien en sanscrit et a à sa disposition l’énorme corpus de connaissance des Hindous, eux qui surnommèrent l’astrologie la poésie de l’univers.
Pourtant, plus tard dans la soirée, je remarque qu’il est incapable de nommer la moindre étoile. Pire, à admirer la brillance opaline de Sirius, il me demande s’il s’agit de Vénus, semblant ignorer que celle-ci ne se montre que le matin depuis des mois (et depuis quelques jours trop proche du Soleil pour être observée) et ne veille de toutes façons jamais aussi tard le soir. Je lui montre aussi Mars, qui voyage actuellement avec Castor et Pollux, et Saturne qui ne décolle pas de Regulus. Il me demande alors où se trouve Gourou (Jupiter), sans réaliser que celui-ci est à l’heure où nous parlons de l’autre coté de la terre…
Il m’est arrivé de rencontrer une astrologue, une française, qui devisait sagement sur Saturne entre autres depuis de nombreuses années, sans l’avoir jamais vue ! Ou un autre praticien qui tenait une libraire joliment nommé Antarès, sans savoir à quoi ressemblait cette puissante étoile, ni quand on pouvait la voir.
Bien sûr que la vie moderne et sa terrible pollution lumineuse se prête de moins en moins à l’observation du ciel. Pour la plupart d’entre nous, même contempler un coucher de Soleil est devenu un luxe ! c’est ici qu’on mesure la densité des ténèbres dans lesquelles nos vies se sont embourbées, combien nous sommes prisonniers de nos bruyantes structures de verres, d’acier et de béton. Non que je prêche une sorte de sentimentalité bucolique, une nostalgie pour un âge d’or où nous vivions plus proches de la nature, mais n’est-il pas évident qu’il y a une analogie entre les murs de nos cités et ceux de nos esprits ? ne sommes nous pas prisonniers à l’intérieur de nos têtes, captifs des parois opaques de nos forteresses intérieures faites de pensées figées dans la graisse froide de nos souvenirs, ou tourmentées par le béton de nos peurs, de nos espoirs et de nos frustrations ?
Nos univers sont de plus en plus mentaux, intellectuels, bourdonnant d’une activité cérébrale qui ne s’éteint jamais. Il semble que pendant des milliers, ou sans doute des centaines de milliers d’années, l’aube et le crépuscule furent des moments privilégiés pour l’être humain (ainsi que pour tous les mammifères qui observent une sorte de trêve). C’est le moment où le silence se fait instinctif, où l’esprit se calme un peu ne serait-ce que quelques minutes, ou il expérimente quelques instants de sérénité. Ceux qui ont la chance de fréquenter la montagne ou la mer, ou encore les plaines et les grandes forêts savent ce que je veux dire. Même, ce sentiment quoique qu’extrêmement dilué est parfois sensible au cœur d’une grande ville, sur un pont qui traverse la Seine ou les flots tumultueux du Rhône par exemple.
Si l’on ne prend pas le temps, ne serait-ce qu’une demi-heure par jour, de se ressourcer au rythme de la nature, de se recentrer, de s’observer tel un grain de poussière fragile et insignifiant au coeur des vastes mouvements cosmiques, comment trouvera-t-on sa place dans le monde ? Comment la magie de la vie nous atteindra-t-elle encore ? Pas étonnant que le matérialisme gagne tant de terrain, que le culte de l’argent et du pouvoir soit juste ce qui nous reste (et je ne pense pas que fréquenter l’église ou la mosquée y change grand chose : comment y trouverait-on « Dieu » alors qu’on est entièrement insensible au grand temple que sont le ciel et la terre ??)
Comment s’étonner alors que des « astrologues », des gens qui devrait être intimes avec le soleil, la Lune, les planètes et les étoiles, au point de leur parler de cœur à cœur, car c’est cela d’abord l’astrologie, une empathie avec la poésie du cosmos, en soit réduit à ne les fréquenter que par le biais des éphémérides, et à ne les observer que sur les écrans de leurs ordinateurs, réduits à de simples points de longitude transformés en symboles psychologiques ?